Quand le chien d'une vie part en cendres...
Quand le chien d'une vie part en cendres...
Mon Cher Chaussettes,
Ça y est, te voilà parti pour ton ultime voyage. Un « léger » contretemps (la panne de courant n'a pas aidé à détendre l'atmosphère, même si je l'ai un peu pris comme une boutade de ta part. Tu as joué les prolongations jusqu'au bout, ai-je pensé !) aura différé le début de ta crémation, mais cette fois, la machine est en route... La salle d'attente n'est plus assez intime pour accueillir ma douleur aussi vais-je me réfugier dans TA voiture pour pleurer tout mon soûl et continuer à t'écrire. Ces mots ont eu tant de mal à sortir, bizarrement... Je ne veux pas les refouler.
Gros toutou. J'attends depuis deux heures de te revoir une dernière fois. Mais si je continue à être persuadée qu'il fallait que je te voies partir, que « j'assiste » (c'est un bien grand mot) à ton incinération, on ne peut pas dire que c'était ce que j'attendais pour ton départ.
Certes, le personnel a été prévenant. La dame qui m'a accueillie ce matin m'a proposé, émue, un petit café, que j'ai refusé, peu adepte de cette boisson. Bon, pour une fois, j'aurais bien pris un chocolat chaud bien mousseux pour me réconforter, mais y'avait pas.
Un personnel sympathique donc, mais les locaux ne se prêtent guère au recueillement. Les Bipèdes attendent qu'on leur présente le corps de leur toutou dans un petit coin du hall d'accueil. Quelques fauteuils à la vue de tous, quelques plaquettes de présentation de l'incinération, des urnes décoratives et quelques revues dignes de la moindre salle d'attente de docteurs... Disons qu'attendre là que l'animal soit apprêté pour sa dernière rencontre avec son Maître, ça passe encore, mais rester là tout le temps de la crémation, c'est carrément impudique... Mais le « pire » reste à venir !
Est-ce à cause de la panne que la « procédure » a été un peu précipitée ? Sur le site de la Compagnie d'Incinération des Animaux Familiers, il était fait allusion à une salle des Adieux... Une salle, mouais ? Un couloir improbable, plutôt. Ouvert encore sur le « hall d'accueil ». Exigu, aveugle, éclairé par de lugubres néons. Intimité zéro. Convivialité : néant.
Le sac plastique blanc dans lequel je t'ai mis lundi dernier, avec les vétérinaires, est posé sur une petite table élévatrice genre chantier, à la peinture toute écaillée. À première vue, soit ils ont trouvé sac à ton corps, soit ils ont réussi à te lover dedans car tu es totalement enfermé dedans, ton avant-main ne déborde plus. Tu avais pourtant l'air de dormir dans le congélateur de la clinique vétérinaire quand je t'y ai laissé.
L'employé, un peu gêné de ma présence prématurée, peut-être, semble-t-il, entaille le sac et je t'aperçois enfin. Ton séjour post-mortem de deux jours à la maison, et ton arrivée la veille ont un peu entamé le processus de décomposition. Tu ne sens pas le Terre-Neuve mouillé ou mal brossé, mais qu'importe, je tenais à te revoir, alors qu'importe l'odeur.
Bon, j'aurais pensé que ton gros corps eut été un peu mieux présenter, qu'on m'aurait laissé un peu plus de temps en ta compagnie. Surtout que j'ai poireauté deux heures dans cette fichue « salle » d'attente, sans pouvoir te voir. Je n'ai pas réclamé de le faire, pensant que vos corps étaient stockés en chambre froide ici aussi, et qu'à cause de la panne d'électricité, ils ne voulaient pas l'ouvrir inutilement tant que le courant n'était pas revenu, histoire de ne pas vous décongeler trop vite. Il n'en était rien, je pense, car derrière les bâtiments, il y a un amas de sacs blancs entreposés à l'air libre.
Pas facile de se recueillir sur ta dépouille, même pas déposée sur un linge jetable. Non, juste posée sur cette table roulante même pas rutilante. À quoi bon éterniser ce dernier rendez-vous ? Après tout, je préfère me souvenir de ton image, couché tranquillement dans notre salon, de nos dernières nuits côte à côte. Ou me faire mon propre film d'une cérémonie plus réussie. Se sont pas foulé pour la mise en scène, eux.
Le jeune employé vient te chercher et t'emmène vers le four crématoire. Espèce de grosse citerne au sol plein de pierre réfractaire, qu'on ouvre et ferme avec une porte digne d'un sous-marin. Posée sous un hangar brut de décoffrage. C'est sûr, z'allaient pas faire une salle toute tapissée, avec de la moquette. Et tout, et tout. Mais tout en restant une zone technique, de travail, même « à la chaîne » pour les incinérations collectives, la salle des fours aurait pu être un peu égayée par un peu de peinture sur les murs, ou des cloisons pour « occulter » un peu ces masses métalliques aux gueules béantes qui avalent les masses de chairs mortes de nos chers compagnons. Peut-être qu'il n'y a finalement qu'une petite partie des Bipèdes qui assistent à la crémation de leurs bêbêtes.
M'enfin, ne nous plaignons pas, rares sont les départements qui ont leur centre d'incinération, car un peu plus tard dans la matinée, je serais rejointe par un couple en pleurs, amenant lui-même (quelle « chance ») leur toutou. Ils venaient de Nancy, d'après leur plaque minéralogique... Passons.
Te voilà à l'entrée de la gueule du four.
L'employé baisse la visière anti-feu de son casque et te fait glisser sur la sole du four. Doucement mais efficacement. Il retire le sac de plastique resté coincé sous ton corps. Je te jette un dernier regard aimant, et la porte se referme lourdement sur toi. Plusieurs tours de manivelle et ton sous-marin t'emporte vers ton dernier voyage. Le monstre de fonte ( ?) et de chamotte ronfle de plus en plus fort et je comprends que je dois quitter cette antichambre de la mort.
Pas question de rester là le temps que ton corps se calcine. C'est sûr qu'une fois ainsi enfermé, il n'y a guère à voir. Peut-être plus à surveiller, pour voir comment le personnel intervient autour du four pendant ta crémation. Faut-il surveiller que tu brûles bien ? Ne rajoutent-ils pas quelques autres z'animaux en douce avec toi ? Ou au contraire, ne récupèrent-ils pas quelques parties de toi ? On frise la paranoïa, à ne pas voir ce qui se passe réellement une fois le « hangar » refermé.
M'enfin, il doit y avoir bien assez de bestioles incinérées collectivement pour approvisionner les filières d'amendements agricoles ou de je-ne-sais-quoi pour ne pas qu'on vienne malmener les dépouilles de l'incinération individuelle, qu'elle soit accompagnée ou non. J'aurais tout de même apprécié d'avoir la vue sur la salle des crématorium, via caméras interposées, qui est suggérée dans la plaquette de l'organisme général. Mais en leur absence, à quoi bon rester dans ce « hall de gare ».
Car si j'ai cru un moment qu'il y aurait une autre salle pour attendre plus intimement la fin de la crémation, je me suis vite rendue compte de mon erreur. Même si la p'tite dame m'a demandé si je supportais la peine, si elle m'a re-proposé un café, il n'en restait pas moins qu'on ne m'offrait de nouveau que ce petit coin de hall aménagé comme à la va-vite.
Vraiment, j'étais mieux lovée à l'arrière de la 405, cette alcôve trop poussiéreuse de la présence de mes quatre Pacotilles, emplie de votre odeur, mes chers toutous. S'il n'y avait pas le klaxon nerveux d'un quelconque chauffeur existé dans l'usine d'à côté, s'il n'y avait pas le bruit des souffleries du four, des usines voisines, j'aurais presque était bien. Les fenêtres ouvertes, car malgré le ciel gris, l'habitacle chauffait doucement, ici, j'entendais malgré tout aussi le concert qu'un rossignol semblait donner en ton hommage. Oui, dans le coffre de notre voiture, j'étais plus en phase avec toi qu'assise là-bas.
Dehors, l'odeur âcre de poils et de chair brûlés semble s'estomper, à moins que mon nez se soit habitué. Sur le parking, un ouvrier qui installe un portillon, sifflote l'air de l'Aigle noir. À sa façon, sans le savoir, il te rend un peu hommage. Après tout, peut-être que cet aigle noir-là, il avait des chaussettes blanches, qui sait ! Vraiment, j'apprécie l'abri du coffre de la voiture.
Bon, heureusement pour nous, tu es mort à la maison, nous avons donc pu un peu rester tranquilles entre nous et pendant nos deux veillées mortuaires, j'ai encore pu profiter un peu de toi, plus que si tu étais parti sous l'aiguille d'un vétérinaire, ou que si tu avais abouti directement ici. Mais voilà que je me mets à te rêver une cérémonie plus à la hauteur du chien exceptionnel que tu étais.
Mon crématorium idéal ne serait pas dans une zone industrielle mais en cambrousse. Une « tite » chaumière posée au milieu des herbes folles avec des hautes cheminées puisqu'il le faut, un peu plus décorées.
Un bureau d'accueil, certes, pour les dernières démarches administratives.
Une première salle d'attente, avec quelques recoins végétalisés, pour que chaque famille de Bipèdes qui arrive puisse éventuellement s'isoler un minimum en attendant de voir son animal. Un peu plus de choix dans les boissons chaudes. Des photos de quelques bestioles qui sont parties ici. Une musique douce, peut-être, ou des chants d'oiseaux, des musiques naturelles. Le tout insonorisé, pour que les confidences entre membres de la famille ne soient pas entendues par les voisins, si on ne le souhaite pas. Mais pas de cloisonnements abusifs non plus, pour laisser possible d'éventuels échanges si on ressent le besoin d'échanger ses peines avec d'autres Bipèdes éplorés.
Une salle d'adieux digne de ce nom, avec la fatidique table à roulette, mais protégée ne serait-ce que d'un drap de papier. Aux murs, des couleurs apaisantes, ou au contraire, vives. Un peu (beaucoup ?) de lumière naturelle pour éviter l'ambiance glauque des néons. Des diffuseurs d'huiles essentielles, senteur au choix des Bipèdes, pour estomper les éventuelles odeurs mortuaires. Des musiques sacrées des différents continents diffusées discrètement. Quelques fleurs naturelles pour égayer un peu. Pas celles des cimetières, celles de la vie. Un temps suffisant pour se recueillir réellement sur la dépouille de l'ami si cher. La possibilité de récupérer une dernière touffe de poils si tel est le souhait, si ce n'est pas déjà fait.
Une salle des crématoriums aux couleurs gaies, donc, sans être criardes. Quelques décors bucoliques peints sur les murs. Ou alors des parois qui ne laissent apparaître que la gueule des fours, occultant ainsi la masse métallique des engins, les tuyaux sordides. Et ces fameuses caméras braquées sur les différents fours, pour démystifier ce qui se passent derrière les murs.
À la sortie de la salle des fours, une nouvelle salle d'attente, avec les moniteurs pour voir le déroulement de la crémation (enfin, pas l'intérieur des fours tout de même), ou voir défiler en musique les photos souvenirs de l'être cher, sur le support qu'on a ramené au préalable. Là encore, la possibilité de se nicher dans des fauteuils confortables, de se cacher derrière des plantes généreuses.
Dernière pièce, un bureau intime où l'on remet aux Bipèdes l'attestation d'incinération et l'urne sur laquelle est collée la photo préférée du cher compagnon, fournie un peu au préalable.
Au choix du Bipède de remmener les cendres chez lui, ou de les disperser dans un jardin du souvenir digne de ce nom, un brin sauvageon par ici, ou plus rangé par là, selon l'humeur du Maître. Pas un terre-plein façon autoroute. Ou alors un colombarium...
Je rêve, je rêve. Mes larmes, assez rares finalement, se sont taries. J'éprouve le besoin de revenir vers cette drôle de salle d'attentes. Je rejoins donc le couple qui a amené lui-même son « petit » chien (au moins tenait-il dans un carton moyen !). Charmante attention, ils ont amené un petit bouquet de fleurs de leur jardin pour incinérer avec leur toutou. Pourquoi n'y ai-je pas penser pour toi, mon Chaussettes ? Peut-être parce que je ne suis pas fleurs de jardin. Mais j'aurais pu aller en cueillir en forêt. Ou apporter un jouet pour partir avec toi. Mouais, on ne peut pas dire que tu avais de jouet fétiche, vieux Chaussettes. Et j'ai une autre destinée pour le petit nounours que t'avais offert Marion et Fred pour mon anniversaire. Il trônera aux côtés de ton urne.
La dame vient m'annoncer que dans une demie-heure, trois quarts d'heure, ta crémation devrait être finie. Parallèlement, vraiment, rester à pleurer en sourdine auprès d'inconnus, ça ne me va pas. Je sors de nouveau et cherche le contact avec ce semblant de nature qui entoure le bâtiment. Pas génial. Plus ça va, moins j'ai envie de rentrer au plus tôt à la maison, de retourner bosser dans l'après-midi qui s'annonce de plus en plus.
Je m'apprête à regarder où se trouvent Thalie et Patou, pour voir s'ils sont loin d'ici ou non, lorsque la dame me rejoint, ton urne encore brûlante dans son carton ouvert. Te voilà enfin entre mes mains, vénérable Chaussettes.
Tu vas enfin pouvoir retrouver ta maison. Non, je ne disperserais pas tes cendres à tout vent. Déjà que j'ai du contrarier un poil Pierre Tombal en te faisant incinérer, j'ai tout de même retenu sa leçon sur les cendres dispersées ici et là et le défunt qui a du mal à retrouver son corps éparpillés aux quatre coins de la Planète...
Mais M'sieur Pierre Tombal, t'as pas énorme de collègues fossoyeurs dans des cimetières pour animaux, et comme désormais on n'est plus sûr de garder son boulot à vie, je me vois mal abandonner les ossements de mon cher compagnon dans une région si je suis amenée à devoir re-déménager. Donc, je suis allée voir ton ennemi ancestral, l'incinérateur.
Passons. Allez, Chaussettes, en voiture mon chien. Je pose ton urne sur le siège passager et l'attache avec la ceinture pour ne pas qu'elle bascule dans les virages. On rentre à la maison, mais tu ne m'en voudras pas d'aller chercher un peu de réconfort chez le jeune vieux Falco et ses Bipèdes, avant de rentrer chez nous. Ils m'invitent à manger, comme Nath et Jeff m'ont accueillie hier soir pour éviter que j'aie à me lever à l'aurore pour arriver si tôt pour l'incinération.
Vraiment, mon gros Chaussettes, ici et ailleurs, je t'assure que j'ai reçu nombre de témoignages de réconfort suite à ta disparition. Tu me manques et va me manquer encore pendant longtemps et crois-moi, on parlera encore longtemps de toi un peu partout en France.
Adieu, mon vénérable Chaussettes, toi, mon premier Terre-Neuve de Pacotille, chien extraordinaire de bonté, piètre nageur mais tellement patient au milieu des classes d'enfants, voleur invétéré de pizzas dans les poubelles du CPIE, cabochard à souhaits, qui m'a permis de rencontrer une foultitudes d'amis, m'a offert une amitié que j'espère inébranlable (y'a pas de raisons, après presque 14 ans) avec Déphouine et Franck, qui t'ont vu naître, qui m'a suivie par monts et par vaux à travers la France, et parfois la Belgique.
Au revoir mon brave Chaussettes, toi qui, sur le tard m'a offert le plus beau des cadeaux, une portée de rejetons noirs et blancs (et blancs et noirs), comme toi, comme ta môman Belle. Va, rejoins à jamais nos chers compagnons qui nous quittent toujours trop vite, même quand ils ont l'énorme chance, comme toi, de partir la dizaine bien passée.
Va, salue de notre part Harley, ton père, le toutou de la famille Sauquet, qui n'a eu que toi et tes deux sœurs comme descendants ; Belle, la croisée blanche et noire, simili Landseer miniature, ta môman ; Fraggle, ta frangine un poil fofolle, qui est restée bébé dans sa tête quasi toute sa vie ; Lypsie, aussi, peut-être, si elle est partie elle aussi ; Hopegood, la toutoune de Claire, qui jouait les perturbatrices d'entraînement à Tours ; L'Hold-Up, le fameux Doudou de Fred, qui m'avait tant marqué à Vienne ; Thelma, la petite bouille de Fabien, qui a réussi à me faire craquer sur un Terre-Neuve de petit gabarit ; Duo-le-Pipou, parti trop vite rejoindre son aîné ; Vigo le pinceur de plongeur ; Pryanne ; ..., ces Terre-Neuve que nous avons croisé un jour ou l'autre et qui nous ont guidés dans la découverte du monde terre-neuvien.
Fais aussi de grosses léchouilles au jeune Ulysse et à son vieux copain Myndo qui n'auront vécu que quelques courtes années de bonheur, chacun à leur façon ; à Baloo ; à Blacky et Olympe ; à Scott ; à Backdraft ; à Moloch le ronchon ; à Mostro ; ... ces gros ours qu'on ne connaît souvent que par Internet interposé mais qui nous ont marqué.
Veille également sur Capucine, qui t'a précédé il y a des années de cela, première toutoune de la famille, humble petite corniaud de ratier, qui nous a initié à la vie aux côtés des chiens.
Va, mon ourson bicolore, qui est resté vaillant jusque quelques jours avant ton décès. La vie à tes côtés a été merveilleuse, je ne garderais que des bons souvenirs de ces 14 années de vie commune. Et t'inquiète pas, les trois jeunots ne te remplaceront jamais totalement, je t'ai toujours dit qu'à eux trois réunis, ils ne t'arrivaient pas aux tarses.
Va, Chaussettes des Crabassières, L'Gringo de tes premiers jours, veille sur moi et marche toujours dans mon ombre. Merci de m'avoir fait toucher du doigt la race d'une partie de tes ancêtres, la race du Terre-Neuve.
Adieu, mon bon Chaussettes, je t'en remet au vent (mais que virtuellement, tes cendres resteront avec moi !).
Carioline, le 14 mai 2009
Mon Cher Chaussettes,
Ça y est, te voilà parti pour ton ultime voyage. Un « léger » contretemps (la panne de courant n'a pas aidé à détendre l'atmosphère, même si je l'ai un peu pris comme une boutade de ta part. Tu as joué les prolongations jusqu'au bout, ai-je pensé !) aura différé le début de ta crémation, mais cette fois, la machine est en route... La salle d'attente n'est plus assez intime pour accueillir ma douleur aussi vais-je me réfugier dans TA voiture pour pleurer tout mon soûl et continuer à t'écrire. Ces mots ont eu tant de mal à sortir, bizarrement... Je ne veux pas les refouler.
Gros toutou. J'attends depuis deux heures de te revoir une dernière fois. Mais si je continue à être persuadée qu'il fallait que je te voies partir, que « j'assiste » (c'est un bien grand mot) à ton incinération, on ne peut pas dire que c'était ce que j'attendais pour ton départ.
Certes, le personnel a été prévenant. La dame qui m'a accueillie ce matin m'a proposé, émue, un petit café, que j'ai refusé, peu adepte de cette boisson. Bon, pour une fois, j'aurais bien pris un chocolat chaud bien mousseux pour me réconforter, mais y'avait pas.
Un personnel sympathique donc, mais les locaux ne se prêtent guère au recueillement. Les Bipèdes attendent qu'on leur présente le corps de leur toutou dans un petit coin du hall d'accueil. Quelques fauteuils à la vue de tous, quelques plaquettes de présentation de l'incinération, des urnes décoratives et quelques revues dignes de la moindre salle d'attente de docteurs... Disons qu'attendre là que l'animal soit apprêté pour sa dernière rencontre avec son Maître, ça passe encore, mais rester là tout le temps de la crémation, c'est carrément impudique... Mais le « pire » reste à venir !
Est-ce à cause de la panne que la « procédure » a été un peu précipitée ? Sur le site de la Compagnie d'Incinération des Animaux Familiers, il était fait allusion à une salle des Adieux... Une salle, mouais ? Un couloir improbable, plutôt. Ouvert encore sur le « hall d'accueil ». Exigu, aveugle, éclairé par de lugubres néons. Intimité zéro. Convivialité : néant.
Le sac plastique blanc dans lequel je t'ai mis lundi dernier, avec les vétérinaires, est posé sur une petite table élévatrice genre chantier, à la peinture toute écaillée. À première vue, soit ils ont trouvé sac à ton corps, soit ils ont réussi à te lover dedans car tu es totalement enfermé dedans, ton avant-main ne déborde plus. Tu avais pourtant l'air de dormir dans le congélateur de la clinique vétérinaire quand je t'y ai laissé.
L'employé, un peu gêné de ma présence prématurée, peut-être, semble-t-il, entaille le sac et je t'aperçois enfin. Ton séjour post-mortem de deux jours à la maison, et ton arrivée la veille ont un peu entamé le processus de décomposition. Tu ne sens pas le Terre-Neuve mouillé ou mal brossé, mais qu'importe, je tenais à te revoir, alors qu'importe l'odeur.
Bon, j'aurais pensé que ton gros corps eut été un peu mieux présenter, qu'on m'aurait laissé un peu plus de temps en ta compagnie. Surtout que j'ai poireauté deux heures dans cette fichue « salle » d'attente, sans pouvoir te voir. Je n'ai pas réclamé de le faire, pensant que vos corps étaient stockés en chambre froide ici aussi, et qu'à cause de la panne d'électricité, ils ne voulaient pas l'ouvrir inutilement tant que le courant n'était pas revenu, histoire de ne pas vous décongeler trop vite. Il n'en était rien, je pense, car derrière les bâtiments, il y a un amas de sacs blancs entreposés à l'air libre.
Pas facile de se recueillir sur ta dépouille, même pas déposée sur un linge jetable. Non, juste posée sur cette table roulante même pas rutilante. À quoi bon éterniser ce dernier rendez-vous ? Après tout, je préfère me souvenir de ton image, couché tranquillement dans notre salon, de nos dernières nuits côte à côte. Ou me faire mon propre film d'une cérémonie plus réussie. Se sont pas foulé pour la mise en scène, eux.
Le jeune employé vient te chercher et t'emmène vers le four crématoire. Espèce de grosse citerne au sol plein de pierre réfractaire, qu'on ouvre et ferme avec une porte digne d'un sous-marin. Posée sous un hangar brut de décoffrage. C'est sûr, z'allaient pas faire une salle toute tapissée, avec de la moquette. Et tout, et tout. Mais tout en restant une zone technique, de travail, même « à la chaîne » pour les incinérations collectives, la salle des fours aurait pu être un peu égayée par un peu de peinture sur les murs, ou des cloisons pour « occulter » un peu ces masses métalliques aux gueules béantes qui avalent les masses de chairs mortes de nos chers compagnons. Peut-être qu'il n'y a finalement qu'une petite partie des Bipèdes qui assistent à la crémation de leurs bêbêtes.
M'enfin, ne nous plaignons pas, rares sont les départements qui ont leur centre d'incinération, car un peu plus tard dans la matinée, je serais rejointe par un couple en pleurs, amenant lui-même (quelle « chance ») leur toutou. Ils venaient de Nancy, d'après leur plaque minéralogique... Passons.
Te voilà à l'entrée de la gueule du four.
L'employé baisse la visière anti-feu de son casque et te fait glisser sur la sole du four. Doucement mais efficacement. Il retire le sac de plastique resté coincé sous ton corps. Je te jette un dernier regard aimant, et la porte se referme lourdement sur toi. Plusieurs tours de manivelle et ton sous-marin t'emporte vers ton dernier voyage. Le monstre de fonte ( ?) et de chamotte ronfle de plus en plus fort et je comprends que je dois quitter cette antichambre de la mort.
Pas question de rester là le temps que ton corps se calcine. C'est sûr qu'une fois ainsi enfermé, il n'y a guère à voir. Peut-être plus à surveiller, pour voir comment le personnel intervient autour du four pendant ta crémation. Faut-il surveiller que tu brûles bien ? Ne rajoutent-ils pas quelques autres z'animaux en douce avec toi ? Ou au contraire, ne récupèrent-ils pas quelques parties de toi ? On frise la paranoïa, à ne pas voir ce qui se passe réellement une fois le « hangar » refermé.
M'enfin, il doit y avoir bien assez de bestioles incinérées collectivement pour approvisionner les filières d'amendements agricoles ou de je-ne-sais-quoi pour ne pas qu'on vienne malmener les dépouilles de l'incinération individuelle, qu'elle soit accompagnée ou non. J'aurais tout de même apprécié d'avoir la vue sur la salle des crématorium, via caméras interposées, qui est suggérée dans la plaquette de l'organisme général. Mais en leur absence, à quoi bon rester dans ce « hall de gare ».
Car si j'ai cru un moment qu'il y aurait une autre salle pour attendre plus intimement la fin de la crémation, je me suis vite rendue compte de mon erreur. Même si la p'tite dame m'a demandé si je supportais la peine, si elle m'a re-proposé un café, il n'en restait pas moins qu'on ne m'offrait de nouveau que ce petit coin de hall aménagé comme à la va-vite.
Vraiment, j'étais mieux lovée à l'arrière de la 405, cette alcôve trop poussiéreuse de la présence de mes quatre Pacotilles, emplie de votre odeur, mes chers toutous. S'il n'y avait pas le klaxon nerveux d'un quelconque chauffeur existé dans l'usine d'à côté, s'il n'y avait pas le bruit des souffleries du four, des usines voisines, j'aurais presque était bien. Les fenêtres ouvertes, car malgré le ciel gris, l'habitacle chauffait doucement, ici, j'entendais malgré tout aussi le concert qu'un rossignol semblait donner en ton hommage. Oui, dans le coffre de notre voiture, j'étais plus en phase avec toi qu'assise là-bas.
Dehors, l'odeur âcre de poils et de chair brûlés semble s'estomper, à moins que mon nez se soit habitué. Sur le parking, un ouvrier qui installe un portillon, sifflote l'air de l'Aigle noir. À sa façon, sans le savoir, il te rend un peu hommage. Après tout, peut-être que cet aigle noir-là, il avait des chaussettes blanches, qui sait ! Vraiment, j'apprécie l'abri du coffre de la voiture.
Bon, heureusement pour nous, tu es mort à la maison, nous avons donc pu un peu rester tranquilles entre nous et pendant nos deux veillées mortuaires, j'ai encore pu profiter un peu de toi, plus que si tu étais parti sous l'aiguille d'un vétérinaire, ou que si tu avais abouti directement ici. Mais voilà que je me mets à te rêver une cérémonie plus à la hauteur du chien exceptionnel que tu étais.
Mon crématorium idéal ne serait pas dans une zone industrielle mais en cambrousse. Une « tite » chaumière posée au milieu des herbes folles avec des hautes cheminées puisqu'il le faut, un peu plus décorées.
Un bureau d'accueil, certes, pour les dernières démarches administratives.
Une première salle d'attente, avec quelques recoins végétalisés, pour que chaque famille de Bipèdes qui arrive puisse éventuellement s'isoler un minimum en attendant de voir son animal. Un peu plus de choix dans les boissons chaudes. Des photos de quelques bestioles qui sont parties ici. Une musique douce, peut-être, ou des chants d'oiseaux, des musiques naturelles. Le tout insonorisé, pour que les confidences entre membres de la famille ne soient pas entendues par les voisins, si on ne le souhaite pas. Mais pas de cloisonnements abusifs non plus, pour laisser possible d'éventuels échanges si on ressent le besoin d'échanger ses peines avec d'autres Bipèdes éplorés.
Une salle d'adieux digne de ce nom, avec la fatidique table à roulette, mais protégée ne serait-ce que d'un drap de papier. Aux murs, des couleurs apaisantes, ou au contraire, vives. Un peu (beaucoup ?) de lumière naturelle pour éviter l'ambiance glauque des néons. Des diffuseurs d'huiles essentielles, senteur au choix des Bipèdes, pour estomper les éventuelles odeurs mortuaires. Des musiques sacrées des différents continents diffusées discrètement. Quelques fleurs naturelles pour égayer un peu. Pas celles des cimetières, celles de la vie. Un temps suffisant pour se recueillir réellement sur la dépouille de l'ami si cher. La possibilité de récupérer une dernière touffe de poils si tel est le souhait, si ce n'est pas déjà fait.
Une salle des crématoriums aux couleurs gaies, donc, sans être criardes. Quelques décors bucoliques peints sur les murs. Ou alors des parois qui ne laissent apparaître que la gueule des fours, occultant ainsi la masse métallique des engins, les tuyaux sordides. Et ces fameuses caméras braquées sur les différents fours, pour démystifier ce qui se passent derrière les murs.
À la sortie de la salle des fours, une nouvelle salle d'attente, avec les moniteurs pour voir le déroulement de la crémation (enfin, pas l'intérieur des fours tout de même), ou voir défiler en musique les photos souvenirs de l'être cher, sur le support qu'on a ramené au préalable. Là encore, la possibilité de se nicher dans des fauteuils confortables, de se cacher derrière des plantes généreuses.
Dernière pièce, un bureau intime où l'on remet aux Bipèdes l'attestation d'incinération et l'urne sur laquelle est collée la photo préférée du cher compagnon, fournie un peu au préalable.
Au choix du Bipède de remmener les cendres chez lui, ou de les disperser dans un jardin du souvenir digne de ce nom, un brin sauvageon par ici, ou plus rangé par là, selon l'humeur du Maître. Pas un terre-plein façon autoroute. Ou alors un colombarium...
Je rêve, je rêve. Mes larmes, assez rares finalement, se sont taries. J'éprouve le besoin de revenir vers cette drôle de salle d'attentes. Je rejoins donc le couple qui a amené lui-même son « petit » chien (au moins tenait-il dans un carton moyen !). Charmante attention, ils ont amené un petit bouquet de fleurs de leur jardin pour incinérer avec leur toutou. Pourquoi n'y ai-je pas penser pour toi, mon Chaussettes ? Peut-être parce que je ne suis pas fleurs de jardin. Mais j'aurais pu aller en cueillir en forêt. Ou apporter un jouet pour partir avec toi. Mouais, on ne peut pas dire que tu avais de jouet fétiche, vieux Chaussettes. Et j'ai une autre destinée pour le petit nounours que t'avais offert Marion et Fred pour mon anniversaire. Il trônera aux côtés de ton urne.
La dame vient m'annoncer que dans une demie-heure, trois quarts d'heure, ta crémation devrait être finie. Parallèlement, vraiment, rester à pleurer en sourdine auprès d'inconnus, ça ne me va pas. Je sors de nouveau et cherche le contact avec ce semblant de nature qui entoure le bâtiment. Pas génial. Plus ça va, moins j'ai envie de rentrer au plus tôt à la maison, de retourner bosser dans l'après-midi qui s'annonce de plus en plus.
Je m'apprête à regarder où se trouvent Thalie et Patou, pour voir s'ils sont loin d'ici ou non, lorsque la dame me rejoint, ton urne encore brûlante dans son carton ouvert. Te voilà enfin entre mes mains, vénérable Chaussettes.
Tu vas enfin pouvoir retrouver ta maison. Non, je ne disperserais pas tes cendres à tout vent. Déjà que j'ai du contrarier un poil Pierre Tombal en te faisant incinérer, j'ai tout de même retenu sa leçon sur les cendres dispersées ici et là et le défunt qui a du mal à retrouver son corps éparpillés aux quatre coins de la Planète...
Mais M'sieur Pierre Tombal, t'as pas énorme de collègues fossoyeurs dans des cimetières pour animaux, et comme désormais on n'est plus sûr de garder son boulot à vie, je me vois mal abandonner les ossements de mon cher compagnon dans une région si je suis amenée à devoir re-déménager. Donc, je suis allée voir ton ennemi ancestral, l'incinérateur.
Passons. Allez, Chaussettes, en voiture mon chien. Je pose ton urne sur le siège passager et l'attache avec la ceinture pour ne pas qu'elle bascule dans les virages. On rentre à la maison, mais tu ne m'en voudras pas d'aller chercher un peu de réconfort chez le jeune vieux Falco et ses Bipèdes, avant de rentrer chez nous. Ils m'invitent à manger, comme Nath et Jeff m'ont accueillie hier soir pour éviter que j'aie à me lever à l'aurore pour arriver si tôt pour l'incinération.
Vraiment, mon gros Chaussettes, ici et ailleurs, je t'assure que j'ai reçu nombre de témoignages de réconfort suite à ta disparition. Tu me manques et va me manquer encore pendant longtemps et crois-moi, on parlera encore longtemps de toi un peu partout en France.
Adieu, mon vénérable Chaussettes, toi, mon premier Terre-Neuve de Pacotille, chien extraordinaire de bonté, piètre nageur mais tellement patient au milieu des classes d'enfants, voleur invétéré de pizzas dans les poubelles du CPIE, cabochard à souhaits, qui m'a permis de rencontrer une foultitudes d'amis, m'a offert une amitié que j'espère inébranlable (y'a pas de raisons, après presque 14 ans) avec Déphouine et Franck, qui t'ont vu naître, qui m'a suivie par monts et par vaux à travers la France, et parfois la Belgique.
Au revoir mon brave Chaussettes, toi qui, sur le tard m'a offert le plus beau des cadeaux, une portée de rejetons noirs et blancs (et blancs et noirs), comme toi, comme ta môman Belle. Va, rejoins à jamais nos chers compagnons qui nous quittent toujours trop vite, même quand ils ont l'énorme chance, comme toi, de partir la dizaine bien passée.
Va, salue de notre part Harley, ton père, le toutou de la famille Sauquet, qui n'a eu que toi et tes deux sœurs comme descendants ; Belle, la croisée blanche et noire, simili Landseer miniature, ta môman ; Fraggle, ta frangine un poil fofolle, qui est restée bébé dans sa tête quasi toute sa vie ; Lypsie, aussi, peut-être, si elle est partie elle aussi ; Hopegood, la toutoune de Claire, qui jouait les perturbatrices d'entraînement à Tours ; L'Hold-Up, le fameux Doudou de Fred, qui m'avait tant marqué à Vienne ; Thelma, la petite bouille de Fabien, qui a réussi à me faire craquer sur un Terre-Neuve de petit gabarit ; Duo-le-Pipou, parti trop vite rejoindre son aîné ; Vigo le pinceur de plongeur ; Pryanne ; ..., ces Terre-Neuve que nous avons croisé un jour ou l'autre et qui nous ont guidés dans la découverte du monde terre-neuvien.
Fais aussi de grosses léchouilles au jeune Ulysse et à son vieux copain Myndo qui n'auront vécu que quelques courtes années de bonheur, chacun à leur façon ; à Baloo ; à Blacky et Olympe ; à Scott ; à Backdraft ; à Moloch le ronchon ; à Mostro ; ... ces gros ours qu'on ne connaît souvent que par Internet interposé mais qui nous ont marqué.
Veille également sur Capucine, qui t'a précédé il y a des années de cela, première toutoune de la famille, humble petite corniaud de ratier, qui nous a initié à la vie aux côtés des chiens.
Va, mon ourson bicolore, qui est resté vaillant jusque quelques jours avant ton décès. La vie à tes côtés a été merveilleuse, je ne garderais que des bons souvenirs de ces 14 années de vie commune. Et t'inquiète pas, les trois jeunots ne te remplaceront jamais totalement, je t'ai toujours dit qu'à eux trois réunis, ils ne t'arrivaient pas aux tarses.
Va, Chaussettes des Crabassières, L'Gringo de tes premiers jours, veille sur moi et marche toujours dans mon ombre. Merci de m'avoir fait toucher du doigt la race d'une partie de tes ancêtres, la race du Terre-Neuve.
Adieu, mon bon Chaussettes, je t'en remet au vent (mais que virtuellement, tes cendres resteront avec moi !).
Carioline, le 14 mai 2009
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